Tous sous les drapeaux ! Le retour du service militaire

Le plaidoyer de notre éditorialiste est-il convaincant ? Surtout lorsqu’il s’extasie devant le fusil mitrailleur suisse et les trains de « bidasses », parfois en folie et toujours alcoolisés, de sa jeunesse … Les spectres accumulés et martelés, celui de la guerre en Ukraine, de la menace du couteau entre les dents recyclé et du char sur les champs Élysées, de la « trahison de Trump réussiront-ils à doper le mental des français, comme en 14, comme en 40 ? Le « joujou patriotisme » comme le nomma Rémy de Gourmont sévira -t-il à nouveau de hochet ? En 1915 Abel Faivre dessina la fameuse affiche « pour la France, versez votre or, l’or combat pour la victoire ». Les poilus, guillerets, s’imaginèrent embarquer, somnambuliquement, pour une promenade de santé pour quelques semaines seulement, un embarquement pour Cythère. Leurs épouses, leurs sœurs, leurs enfants, sur les quais, les encouragèrent, gorgées de slogans, dans un voyage vers la mort.

86 pour cent des Français seraient pour le rétablissement de la conscription ? Le service militaire national à été suspendu en 1996 dans le contexte dit des « dividendes de la paix » et la professionnalisation de l’armée. Une logique de volontariat qui existait de fait auparavant (exemptions et « pistons ») s’est imposée avec une sélection de compétences techniques, psychologiques, personnelles élevées. La protection nucléaire du territoire a sans doute pesé dans la décision. Parmi les motifs, celui du coût représenté par l’entretien d’un contingent et des infrastructures est apparu exorbitant par rapport aux bénéfices attendus dans le cadre des menaces et des nouveaux conflits possibles. Le motif financier est sans doute aujourd’hui celui qui conduit le Président de la République à écarter cette option au profit d’une extension de la réserve.

Il serait intéressant et éclairant de sonder les motifs des sondés pour comprendre un score de type « poutinesque ». La première question serait de connaitre les proportions par classe d’âge. Celle de M. Werly sera plutôt portée à répondre positivement : risques minimes. S’il a un petit fils de 20 ans, la réponse sera peut-être différente. Les classes d’âge jeunes seront plus circonspectes dans leur réponse sauf si elles ont la certitude d’échapper au casse-pipe (les pistonnés et le planqués) ; ce qui pourrait être le cas dans l’hypothèse d’un volontariat ou non, comme ce fût le cas avant 1996. Les propositions semblent opter pour un volontariat qui actuellement ne permet pas un recrutement à la hauteur nécessaire, à moins, comme Poutine, de proposer des rémunérations égales à 5 fois le salaire minimum et en cas de décès, une somme équivalente à 50 000 euros.

Ce sondage me semble reposer sur des ambiguïtés des fantasmes et des contradictions :
1- la question posée se déroule dans un contexte mobilisant la peur de la guerre qui résonne plus largement sur le terrain de l’insécurité ambiante réelle ou ressentie (Dupont-Morreti). La lutte contre le narco-trafic fait partie des ingrédients du tableau d’ensemble. La capacité limitée si ce n’est l’échec des forces de police dans le rétablissement de l’ordre public conduit à valoriser l’efficacité supposée de l’armée dont l’intervention est périodiquement plébiscitée. Une armée dont les effectifs seraient à même de circonscrire les « territoires perdus de la république » et des populations dites, selon des expressions politiquement incorrectes, « inassimilées », parfois supposées « inassimilables », en rupture rupture de ban si ce n’est insurrectionnelles, hostiles.
2 – Une crainte à l’égard de populations issues de l’immigration dont le degré d’allégeance serait considéré comme problématique. Il s’agit explicitement des « beurs » d’ascendance étrangère et de religion supposée différente. Cette idée a été conceptualisée par Alon Pelde comme le dilemme du « cheval de Troie » (Alon Peled : « A question of loyalty military manpower policy in mutiethnic states » Ithaca; N.Y. Cornell University Press, 1998, 206 p) pouvant remettre en cause l’unité de l’armée ou du moins la menacer.
Si l’ »effet éducatif » du service militaire est souvent décrit comme un creuset assimilateur et milite en la faveur de son rétablissement, remplaçant une école et une éducation familiale supposées défaillante, la question est toutefois évoquée au regard de certaines populations. Ces considérations sont à même de relativiser la proposition d’une conscription généralisée. Quelle en serait l’efficacité si la durée proposée serait de 3 mois, coût oblige, selon les propositions avancées ? Beaucoup de pays sont amenés à composer leurs armées avec des segments de leur population dont la loyauté est remise en cause ou suspectée par l’opinion publique (comme en Israël pour les arabes musulmans mais pas les arabes chrétiens, ni les Druzes). Quel serait le résultat d’un sondage au prisme de ces interrogations ? D’autres peurs…

Les stéréotypes d’aujourd’hui ont succédé à d’autres, comme en France, lors de l’affaire Dreyfus. La « menace communiste » et l’émergence de nouveaux mouvements terroristes ont alimenté les processus de suspicion ; La suspicion de « pro-poutinisme », assez répandue dans certaines sphères de l’armée française pourrait réactiver la crainte des « chevaux de Moscou » succédant aux fameux « yeux »…